Les origines de la bataille

Le texte qui suit est inspiré du livre de Georges DUBY : « Le Dimanche de Bouvines ».

Au temps où nous sommes (début du XIIIè  siècle), deux affaires  majeures dominent de haut les préoccupations des princes, deux conflits, où la religion n’intervient qu’en surface, comme arme, comme prétexte ou pour justifier. Celles-ci mettent aux prises quatre puissances principales de l’Europe chrétienne, le pape, l’empereur d’Allemagne, le roi de France, et le roi d’Angleterre. Ce sont de très vieux conflits.

La concentration des pouvoirs s’est opérée d’un même mouvement dans les principautés et dans l’Eglise. L’Eglise, au seuil du XIMe siècle, achève de prendre la figure d’une monarchie, la mieux charpentée de toutes. Mais d’une monarchie dont le chef, successeur de Saint-Pierre, prétend au nom de la primauté du spirituel, guider, reprendre, punir, déposer si besoin est les princes de la terre. Ses légats sont partout, mêlés aux intrigues princières et prônant la paix dans l’intérêt de la croisade. De Saint-Pierre, c’est-à-dire du pape, plusieurs souverains ont repris en fief leur principauté, en tout dernier lieu, Jean sans Terre.

Contre les descendants de Frédéric Barberousse qui revendiquent la couronne allemande, Innocent III a soutenu Otton de Brunswick. On connaît sa déconvenue, manifestée par les excommunications qu’il a lancées contre Otton. C’est en ce point que ses menées se conjuguent à celles de Philippe Auguste, et que ce premier conflit rejoint l’autre. Ouvert lui-même depuis un siècle et demi, il est de plus en plus aigre. Malaisées dès que le duc de Normandie est devenu roi en Angleterre, les relations entre le Capétien el son riche vassal se sont très fortement tendues   lorsque   le  Plantagenêt,  comte  d’Anjou,  étendit son pouvoir sur la principauté anglo-normande, puis sur l’immense duché d’Aquitaine. Dès lors, le roi de Paris dut s’acharner à dissocier une puissance démesurée, qui risquait d’éclipser la sienne. Depuis son avènement, il ne poursuit pas d’autre but.

Philippe use a plein du droit féodal. A la première occasion, Jean sans Terre est condamné pour félonie par la cour capétienne, qui prononce la confiscation de ses fiefs. Philippe court exécuter la sentence, réussit à s’emparer de la Normandie et de l’Anjou, ce pourquoi on le dit Auguste. Déshérité, le roi d’Angleterre tient bon cependant, attire à lui tous les barons français qui se sont éloignés de leur seigneur, par peur, par dépit ou dans l’espoir de le faire chanter. De fait, il sait attiser les rancunes de Penaud de Boulogne et de Ferrand de Flandre, mène Otton où il veut, gagne à sa cause tous les chevaliers besogneux des Pays-Bas par la promesse d’une haute paie et l’appât du pillage, et voici réunie une importante force militaire qui par le Nord menacera son rival.

Philippe s’accorde avec Innocent III. Pour lui complaire, il rappelle Ingebourge près de lui. I e pape déclare le roi Jean déchu et livre l’Angleterre au Capétien. C’est alors que le comte Ferrand, jetant le masque, fait défection. Le roi de France part vers le Nord. Il bat le rappel de ses camarades en Picardie, en Ponthieu, en Artois: on ira piller encore une fois les campagnes flamandes. Telle fut, la conduite de Philippe-Auguste. Semblable à celle, chaque été, de tous les rois ses ancêtres, il est parti pour dévaster une nouvelle fois, « loyalement », la seigneurie d’un vassal félon.

De quel côté se trouve le droit ? Du côté du pape, c’est-à-dire de Philippe-Auguste? De celui qui a lancé les excommunications, de celui qui a déshérité Jean sans Terre ? Ou bien de l’autre ? Dieu le dira. Alors tout bascu­lera d’un seul versant. Choisir la bataille, c’est prendre le risque d’être entièrement dépouillé, tué peut-être.